L’incroyable histoire de Sixto Rodriguez
Rodriguez a eu une vie digne d’un film. Une vie faite de joies, réussites, peines et désillusions, avec des chutes à la hauteur des montées : de véritables montagnes russes ! Une vie humble pour un homme bon, une vie relatée dans le documentaire Oscarisé ”Searching For a Sugar Man”.
Il vient de nous quitter le 8 aout dernier à l’âge de 81 ans, achevant son drôle de destin fait de coups du sort et de malchance, “Sugar Men” valait bien un hommage dans mes chroniques. De l’ombre à la lumière.
Débuts
Rodriguez est né le 10 juillet 1947 à Détroit dans le Michigan. Il est le sixième enfant de parents immigrés mexicains issus de la classe ouvrière, d’où son prénom : Sixto. Son père d’origine mexicaine immigre aux États-Unis dans les années 20, il s’installe à Détroit avec la mère de Sixto d’origine amérindienne.
Une enfance vécue dans la misère car les Mexicains étaient beaucoup rejetés à cette époque et ostracisés dans les quartiers pauvres. Rodriguez s’en sort comme il peut et durant sa jeunesse, il commence à écrire des chansons. Il écume les bars et joue dans les endroits malfamés de la ville avec son faciès de chicano, sa tronche d’apache, ses cheveux noirs de jais et son sourire énigmatique.
Alors qu’il joue au “The Sewer”, il se fait repérer par deux producteurs : Mike Théodore et Dennis Coffey… C’est dans ce vieux taudis que Sixto va les éblouir. Jouant de dos pour cacher sa timidité, il épate Coffey et Theodore par la qualité de ses textes et son jeu simple et poignant.
Carrière à retardement
Coffey, sous le choc – pour lui, Sixto est le futur Bob Dylan – lui propose de signer un contrat. Les deux producteurs montent un groupe pour accompagner Sixto à la guitare et les enregistrements débutent.
En 1970 sort Cold Fact, un album folk et bluesy qui devrait devenir un best-seller.
Sauf que l’album ne se vend qu’à six exemplaires. Le flop total. Personne n’en parle.
Mais les producteurs et Sixto ne baissent pas les bras. Sixto a encore beaucoup de choses à dire et de belles histoires à raconter. Un an plus tard, il sort un nouvel album : Coming From Reality et la sentence est sans appel. Nouveau bide. Toutes les critiques reconnaissent le talent de cet homme, mais tout le monde semble n’en avoir rien à faire. Il retombe dans l’oubli et retourne travailler sur les chantiers.
La Résurrection
Plusieurs mois après le fiasco américain, quelques copies piratées du premier LP arrivent en Australie, puis en Afrique du Sud. Un DJ de radio Australien, Holger Brokman, diffuse sur les ondes “Sugar Men”. Suite à ça, les disquaires commencent à vendre Cold Fact pour plus de 300 dollars et « Blues Goose Records » le sort finalement avec des ventes énormes sur tout le continent. Sixto devient une légende en Afrique du Sud, mais aussi en Nouvelle-Zélande et en Australie. Sa musique est exportée illégalement grâce à des paroles contestataires. Et tout ça, sans qu’il le sache.
L’Australie d’abord, jusqu’au succès inattendu en Afrique du Sud
À la fin des années 70, des promoteurs de concerts australiens ont retrouvé la trace de Rodriguez à Détroit. Il arrive donc en Australie pour une tournée de quinze dates qui débute en 1979.
Concerts complets, plus de 15000 personnes à Sydney, et un album live de cette tournée sort en 1981. Il entame alors une deuxième tournée où il partage l’affiche avec Midnight Oil.
Mais après ce triomphe Australien, Sixto va “retraverser le désert” et connaitre difficultés, échecs et sentiment d’abandon. L’Amérique et l’Europe le boudent. Il reprend alors ses études et décroche un master en philosophie et devient aussi père de trois filles.
De l’ombre à la lumière
C’est une Américaine, inconnue, partie rejoindre son amoureux en Afrique du Sud, qui va le faire ressortir de l’anonymat de façon éclatante. Elle ramène Cold Fact comme un petit souvenir à ses potes, et ces derniers le copient et le distribuent de mains en mains. Cold Fact devient l’hymne de la jeunesse blanche progressiste et anti-apartheid. Il est carrément impossible de dire combien de copies de l’album ont circulé. Une estimation s’élève à plusieurs centaines de milliers…
Son succès est tel que pendant des années les rumeurs les plus folles circulent à son sujet, notamment son suicide sur scène par immolation. Rumeur qui sera démentie grâce à deux fans.
Pendant ce temps, Sixto ignore encore tout de sa popularité. “I Wonder” contribue à la grande révolution anti-apartheid du pays avec Nelson Mandela et devient même la chanson de proue du mouvement.
L’album Cold Fact devient disque d’or. Sixto sera finalement sera accueilli en héros, enchainant six concerts à guichets fermés.
Dans les années 80 et 90, Sixto est une plus grande star qu’Elvis Presley lui-même !
Ressuscité par un documentaire
Grâce à l’émergence d’internet, le réalisateur suédois Malik Bendjelloul enquête sur l’étrange histoire de Sixto . Il remue ciel et terre pour retrouver cet homme à la carrière qui ne décolle jamais, sauf à deux endroits de la planète, et qui continue à vivre dans sa bicoque de Détroit ! Il rencontre Coffey et Theodore ainsi que les deux admirateurs qui avaient retrouvé sa trace en 1988, des tas de fans, et les enfants de Sixto. Il décide de faire un documentaire : “Searching For a Sugar Men”. Ce sera un carton mondial qui remportera même l’Oscar du meilleur film documentaire en 2013. La carrière de Sixto est définitivement lancée … à l’âge de 70 ans !
Sixto ne se doutait pas combien son histoire allait toucher le monde. Aujourd’hui, l’homme est considéré par certains comme le plus grand compositeur, devant Bob Dylan ou Neil Young. Une tornade qui sort le chanteur de l’oubli, l’histoire d’un looser magnifique revenu d’outre-tombe par la grâce d’un documentaire !
La vie après Sugar Men
Après avoir passé quarante ans dans un anonymat quasi-total, Rodriguez est donc devenu une superstar grâce à Malik Bendjelloul. Il n’en demeure pas moins humble et s’en sort avec dignité. Malgré sa notoriété, il continue de vivre sans voiture, sans ordinateur, sans téléphone portable (un certain temps) et dans une modeste maison, presque comme un Amish. En revanche, il a gardé son look séduisant, vaguement indien à la mode chicano, pantalon de cuir, épaisses lunettes de soleil, manteau et collier ras de cou orné d’un aigle amérindien sans un seul cheveu gris, s’amusant à jouer ce personnage marginal, ultracool et intègre.
Un mystère plane encore vis-à-vis de sa première maison de disques “Sussex Records” et de ses producteurs qui s’enrichissaient sur le dos de leur “poulet aux œufs d’or”. Il n’a pas réclamé ses droits d’auteur et a été grugé, refusant de se plier au star-système. Certains expliquent aussi l’échec de ses albums à cause de son nom “trop mexicain” pour l’Amérique de cette époque.
Fatigué, avec beaucoup de problèmes de santé, deux AVC et devenant quasiment aveugle, Sixto Diaz Rodriguez est décédé ce 8 aout 2023 chez lui à Détroit au terme d’une vie faite de tranquillité salutaire et de lumières aveuglantes. Ses deux albums demeurent le meilleur témoignage de son histoire et la presse de Détroit, sa ville natale, lui a rendu hommage, achevant le destin musical et rocambolesque du génial troubadour.
Écoutez ses chansons, ce sont celles d’un poète des rues, une musique qui vous prend aux tripes et qui impose le silence.